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« Wah, vas-y, y a rien à faire ici, c’est la hess ce quartier ! » Partout où j’ai habité, j’ai entendu cette lamentation autour de moi. C’était faux bien sûr, car il y avait, en vérité, des tas de choses à faire. Et à chaque fois qu’une telle déploration parvenait à mes oreilles, je songeais à cette chanson des Fabulous Trobadors :
Je peux reprendre à mon compte les mots des Fabulous Trobadors, « Aurillac est mon plus beau park, sa vie pleine d’attractions ». La vie culturelle, notamment, se révèle intense, dynamique et d’une grande diversité. Structures institutionnelles, lieux festifs, associations, artistes locaux et initiatives privées assurent tout au long de l’année une programmation foisonnante.
Alors, qu’est-ce qu’on fait, ce soir ?
Durant quatre jours, au mois d’août, Aurillac se métamorphose littéralement pour accueillir plus de 600 compagnies de théâtre de rue. Le festival, qui fait référence à l’échelle européenne, constitue le point d’orgue de la vie culturelle locale. Dans une infographie publiée par le Conseil départemental, on apprend, qu’en 2023, 44% des 139 000 spectateurs résidaient dans le Cantal (hors Aurillac), ce qui signifie que la moitié des habitants du département se sont rendus au festival !
Mais l’emblématique festival ne saurait occulter l’extraordinaire vivacité de la vie culturelle aurillacoise tout au long de l’année. La liste des lieux et événements qui jalonnent l’agenda de la ville serait trop longue pour être citée exhaustivement, et il serait injuste de n’en citer que quelques uns.
Claire Delfosse, directrice du Laboratoire d’études rurales à l’université de Lyon, souligne dans ses travaux le rôle structurant des campagnes dans la production culturelle. Par exemple, les territoires ruraux sont à l’origine de la réémergence de certaines formes artistiques oubliées, telles que :
Citons également les cultures vernaculaires et les langues régionales, jadis vouées aux gémonies, et qui, mieux que résister, se réinventent aujourd’hui pour contribuer activement à la création contemporaine.
Pas loin de chez moi, dans les montagnes, il existe un lieu culturel, militant, rural, créatif, social, et gastronomique. Je demandais un jour aux gérants comment ils diffusaient leur programmation, et ils m’ont répondu avec humour : « grâce à une gazette locale appelée Facebook » !
Quant à moi, il a fallu que j’arrive dans le Cantal, en 2017, pour créer mon premier compte Facebook. Le réseau social de Mark Zuckerberg semblait, en effet, le plus sûr moyen de désenclaver l’information en rase campagne. Sans Facebook, mon intégration dans la vie locale aurait été beaucoup plus laborieuse. Pourtant, je ne me suis jamais fait à l’idée que, pour savoir ce qu’il se passe ce week-end dans le village d’à côté, je dois m’en remettre aux algorithmes de la Silicon Valley.
Le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. C'est la vocation de nos émissions : divertir le téléspectateur pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible.
Patrick Le Lay, PDG de TF1, 2004
Or, Mark Zuckerberg fait le même métier que Patrick Le Lay, mais avec une puissance de contrôle infiniment supérieure. Sans faire ici une critique frontale des réseaux sociaux, je m’étonne tout de même que les serveurs californiens soient devenus indispensables pour diffuser la plus locale des informations.
Quand j’ai définitivement supprimé mon compte Facebook, mon ami Serge m’a dit : « C’est comme si tu avais jeté le bottin à l’époque du téléphone fixe » ! Jadis, en effet, (presque) tout le monde était dans l’annuaire. Aujourd’hui, (presque) tout le monde est sur Facebook. La plateforme de Menlo Park serait donc devenue incontournable ?
Ce n’est pas si simple… Outre que Facebook devient « le réseau social des vieux » (un tiers seulement des 16-25 ans y sont actifs), le filtrage algorithmique des contenus, par exemple, pose un problème de taux de couverture (le fameux « reach », qui mesure le nombre de personnes atteintes par une publication). Et la liste des griefs pourrait facilement s’allonger.
En 2022, lors d’une réunion publique organisée par la mairie d’Aurillac sur le sujet, l’adjoint à la culture avait surpris l’assemblée en proposant de réhabiliter le métier de crieur public. La proposition semblait si saugrenue que personne n’a su si l’élu blaguait – ou pas.
Pourtant, à bien y réfléchir, il y aurait des arguments en faveur de cette étrange idée un écho aux formes d’expression anciennes que les campagnes ont le don de réinventer, un clin d’œil aux arts de la rue emblématiques de la ville, la possibilité d’une agora culturelle les jours de marché, etc.
Pour ma part, venant de Marseille, j’avais pour référence le Journal Ventilo, dont la version papier est disponible gratuitement en de nombreux bars, boutiques, lieux publics et structures culturelles. Avec sa ligne éditoriale affirmée, ses articles bien troussés, et son agenda culturel très complet, il circule toujours allègrement, de main en main, dans toute la ville.
Parfois, sur certains comptoirs, on trouvait même une revue de poésie gratuite, intitulée « Café verre », offrant à tous la possibilité de lire quelques poèmes contemporains en buvant son café (ou son pastis…).
Il y a deux ans, avec une poignée de doux rêveurs, nous avons imaginé qu’un gratuit culturel se diffuse de la même façon dans la ville d’Aurillac. Pourquoi pas une version papier concentrée sur l’agenda ? Pourquoi pas une version numérique pour plus d’informations ? Pourquoi pas un bureau avec pignon sur rue dans le centre historique ?
Ce printemps, lorsque les étudiants en Ms Direction artistique et design digital au lycée Saint-Géraud ont dû imaginer un projet collectif pour leur module de Sprint Design, ils ont choisi d’eux-mêmes : la communication culturelle à Aurillac ! Et en quelques heures, ils ont produit le prototype d’application mobile appelée « Zoom & Go ».
S’en remettre au modèle économique de Meta, se rendre dépendant de ses algorithmes, accepter ses conditions de traitement des données, afin de répondre à un besoin extrêmement local, pose à mes yeux un problème d’échelle flagrant. Les étudiants de Saint-Géraud, pourtant spécialistes des réseaux sociaux, ont, eux aussi, proposé de faire autrement.
Le foisonnement culturel à Aurillac doit beaucoup à la dynamique de ses associations, de ses artistes et de ses habitants. Si les territoires ruraux sont des espaces de création et d’innovation, alors inventons ensemble une nouvelle façon de diffuser la culture localement !
Moi, je suis motivé ! D’autres volontaires ?