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Pour le site aux-vallees-du-puy-mary.fr, j’ai créé un itinéraire pédestre le long de la Cère, depuis le bourg d’Arpajon-sur-Cère jusqu’à la source de la rivière à Font-de-Cère. Le défi était de taille, car cette magnifique vallée se trouve depuis longtemps livrée aux voitures et camions sillonnant la RN122.
Ce long ruban d’asphalte, qui se poursuit, « de l’autre côté du tunnel », dans la vallée de l’Alagnon, assume la difficile mission de désenclaver le département d’ouest en est. Seule route nationale du Cantal, c’est d’ailleurs également la seule route limitée à 80 km/h, les élus locaux ayant été à la pointe du combat contre le décret abaissant la vitesse maximale en 2018.
J’ai marché plus de 100 kilomètres de part et d’autre de ce poumon routier cantalien : récit d’une cohabitation…
On s’en doute, le pragmatique semi-remorque et le flâneur idéaliste ne font pas toujours bon ménage. La RN coupe la vallée entre ses deux versants, sans aucun aménagement piétonnier en dehors des villages traversés. Trottoirs parfois étroits, passages piétons peu rassurants, ces rares équipements assurent le strict minimum.
Tandis que l’on chemine dans la vallée, la route s’impose dans son impérieuse artificialité. Elle semble comme « posée là », dans un paysage dont on imagine aisément ce qu’il fut avant le bitume. En comparaison, la ligne de chemin de fer se devine à peine, trahie surtout par ses ouvrages d’art. Au détour d’un sentier, la route apparaît parfois dans son incongruité, comme par exemple sur le PR entre Saint-Jacques-des-Blats et le puy Griou.
Fléchage et balisage vert conduisent le randonneur vers la route à 3 voies, qu’il faut traverser à vue, en dehors de tout passage sécurisé.
À 200 mètres de cette périlleuse intersection, un oratoire permettait justement aux voyageurs de prier pour leur protection lors de la traversée de la montagne au Lioran. Hélas, la route a rendu impossible son accès à pied.
Bien sûr, la pollution sonore affecte également le paysage. Sur la Via Arverna, variante auvergnate du chemin de Compostelle, j’avais enregistré le fond sonore à l’aide de mon téléphone, au niveau du Pas de Compaing.
À cet endroit, la route est invisible, mais sa présence s’impose tout de même.
Une route nationale, certes, se déploie au service du conducteur pressé, et non du promeneur contemplatif. Notons, cependant, qu’il s’agit le plus souvent de la même personne ! Arriver au plus vite au parking, afin de s’en éloigner au plus vite. Profiter au mieux des infrastructures, pour mieux les oublier ensuite.
Et pourquoi pas sortir de cette étrange dualité ?
Pour mon prochain projet sur le site aux-vallees-du-puy-mary.fr, j’ai décidé d’explorer la vallée de l’Alagnon, tout en sachant l’omniprésence de la RN dans son itinéraire. Les premiers kilomètres le confirment : le chant des oiseaux se mêle au vrombissement des mécaniques. Parfois, l’accélération d’une moto résonne littéralement dans toute la montagne.
J’avais pourtant hésité avec la rustique vallée du Mars, mais mon choix s’est bel et bien porté sur un Alagnon domestiqué. Jadis, ses eaux tumultueuses ont patiemment creusé la montagne, et quelques millénaires plus tard, le génie humain est venu opportunément bétonner son sillon.
La vallée néanmoins reste superbe, et d’une passionnante richesse. La parcourir à pied, dans la lenteur édifiante de la marche, permet de renouer avec son intimité profonde. Car même à 80 km/h seulement, elle ne redevient plus qu’une (belle) route. En défiant le vacarme moderne, on découvre maintes merveilles que la vitesse et l’empressement nous avaient cachées.
Il y a vraiment de quoi méditer, à randonner dans ce paysage grandiose au bruit des voitures. L’impact des activités humaines sur la vie naturelle s’impose dans toute sa force. Parfois, une orgueilleuse pétarade traverse toute la forêt, et l’on songe aux animaux dont le territoire sonore a été colonisé par l’homme.
Le Cantal ne compte que trois communes de plus de 5000 habitants, et se situe à deux heures de route de la première ville de plus de 50 000 habitants. Territoire très rural, quasiment insulaire, dont le désenclavement routier compte parmi les priorités majeures des élus locaux. Les projets et travaux de contournements se succèdent, qui opposent systématiquement adeptes pragmatiques de la vitesse et opposants à la bétonisation des terres agricoles et autres zones humides.
Le débat mérite d’être posé dans la complexité, néanmoins, certains projets peuvent étonner par leur ratio entre temps gagné, coût financier et impact environnemental. Quelques minutes grapillées sur la route valent-elles vraiment, coûte que coûte, leurs externalités négatives ?
À ce titre, l’actuelle contestation concernant l’A69 entre Castres et Toulouse est symptomatique. Connaissant très bien ce trajet pour des raisons familiales, je me range sans réserves du côté des opposants, et je déplore que du côté de Castres, certains plaident pour devenir une banlieue un peu moins lointaine de Toulouse.
Dans le Cantal en tout cas, Saint-Flour et Aurillac se dépeuplent pareillement, autoroute ou pas.
Nombre de randonneurs recherchent une immersion au coeur du paysage, une reconnexion à l’ordre naturel, un retour aux sources. En longeant les berges de l’Alagnon, les grondements de la RN122 mettent au défi cette quête nostalgique. Pourtant, la vallée reste admirable et mérite qu’on l’arpente attentivement. Et rien de tel que la rumeur qui monte de la route pour interroger notre place d’humain au beau milieu de cette nature apprivoisée.
J’ai fini par aimer l’écho des voitures dans les adrets et les ubacs, j’y entends une véritable poésie du réel. Ici, idéalisme naturaliste et fantasmes de pureté n’ont pas leur place. Ici, on marche dans la forêt au bruit des automobiles, et au retour, c’est la nôtre qui résonnera parmi les sapins immenses.