IATA planète qui brûle

± 4 minutes de lecture Écotourisme

Du 2 au 4 juin, l’International Air Transport Association (IATA) organisait son Annual General Meeting à Dubaï, et révélait ce chiffre vertigineux : 5 milliards de passagers s’entasseront dans les avions de ligne en 2024. L’annonce de cette fréquentation record a fait littéralement le tour des journaux. Mais là où je m’attendais à lire titres alarmistes et papiers au ton grave, je n’ai trouvé que jubilation et hourrasnbsp;: enfin une bonne nouvelle pour notre économie et nos loisirs !

Six mois plus tôt, toujours dans la bonne ville de Dubaï, la COP 28 se concluait par le premier pacte mondial mentionnant explicitement la nécessité de s’éloigner de tout type de combustibles fossiles. Mais la presse, toute à sa joie, n’a pas eu un mot, ou presque, sur cette discordance criante…

Premier jour de la COP 28 le 30 novembre 2023 à Dubaï
Premier jour de la COP 28 le 30 novembre 2023 à Dubaï (Cop 28 CC-BY-NC Mídia Ninja)

Kérosène, carburant du bonheur

Face à l’enthousiasme général des journalistes, comment ne pas songer à la fameuse « règle de trois » appliquée par Jean-Marc Jancovici pour affirmer que chaque humain sur cette planète ne devrait pas emprunter plus de 4 vols dans sa vie ? À l’époque, un vaste courant d’indignation avait alors traversé les plateaux télé, et bien sûr, les hautement inflammables réseaux sociaux.

En quelques chiffres, le transport aérien, c’est :

  • 5% à 6% de contribution au réchauffement global (émissions de cO2 + impact de la condensation)
  • 1% de la population mondiale responsable de 50% du CO2 émis par l’aviation commerciale
  • 80% de la population mondiale qui n’a jamais pris l’avion

Quant à moi, j’ai inauguré ce blog par un premier article intitulé Et si on voyageait sur place ?, dans lequel je fais l’éloge de la proximité comme nouvel horizon à redécouvrir. Sachant que 70 à 80% des trajets en avion relèvent du tourisme, le concert d’applaudissements qui célèbre les chiffres mirobolants du trafic aérien me laisse donc plus que dubitatif, pour ne pas dire profondément atterré.

Exemple de ces contradictions flagrantes assumées avec une impudence de haut vol, c’est le cas de le dire : les Maldives. Mohamed Muizzu, président d’un archipel drastiquement menacé par la montée des eaux, prenait la parole à Dubaï pour alerter sur les menaces climatiques qui pèsent sur 80% de son territoire.

PSur cette île des Maldives, les tortues vertes déposent leurs oeufs sur le goudron de l'aéroport, jadis lieu de ponte.
Sur cette île des Maldives, les tortues vertes déposent leurs oeufs sur le goudron de l'aéroport, jadis lieu de ponte.

Mais au même moment, l’île de Maafaru, dans les Maldives, voyait son écosystème massivement bétonné par la construction d’un aéroport, entièrement financé par… les Émirats Arabes Unis, pays hôte de la COP 28 ! Il s’agit, bien évidemment, de « désenclaver l’atoll », et au passage, d’y bâtir un complexe hôtelier de luxe. « Climate inaction is not an option », s’émouvait pourtant Mohamed Muizzu face à 190 chefs d’état.

Et chez nous, en Europe, pour le bonheur de toutes et tous, le kérosène reste le seul carburant fossile totalement exonéré de taxes

Vite, de l'exotisme !

Les voyages forment-ils la jeunesse ?

Je rejoins volontiers la position d’Aurélien Barrau concernant les alibis parfois fallacieux qui justifieraient de traverser la planète dans le but de « construire notre humanité », selon l’expression utilisée par Denis Lafay lors de son interview pour l’événement « Une époque formidable ».

Est-ce qu’on a vraiment besoin de faire vingt mille kilomètres pour découvrir l’altérité radicale ?
Aurélien Barrau (à partir de 16'40")
On n’a pas besoin d’aller voir les lions en Afrique alors qu’on ne connaît aucun des mammifères qui peuplent nos prairies&nbsp!
Aurélien Barrau (à partir de 18'03")

Les pratiques touristiques contemporaines mettent fortement à mal le récit selon lequel voyager serait aller à la rencontre de cultures différentes et de « grandir en humanité » au contact d’autres civilisations. Ayant travaillé durant deux années pour la Direction des services de la Navigation aérienne, j’ai le souvenir d’un contrôleur aérien me disant un jour : « en ce moment, on fait surtout de l’Anglais qui va aux Baléares et de l’Allemand qui va aux Canaries ».

Les ravages du surtourisme sont aujourd’hui largement documentés, et de Venise à Étretat, de Mikonos à Crozon, des calanques de Marseille à Bali, habitants et élus cherchent à réguler des fréquentations devenues invivables. Même les guides touristiques se mettent à déconseiller les lieux les plus emblématiques du tourisme de masse, comme par exemple dans cette no list publiée par Fodor’s en 2023.

Un avion passe au-dessus des touristes sur la célèbre plage de Maho Beach à Saint-Martin
La célèbre plage de Maho Beach à Saint-Martin

La photographe belge Natacha de Mahieu s’est également intéressée à l’impact des réseaux sociaux sur la fréquentation de certains lieux réputés « instagrammables ». Sur le principe du timelapse, sa série « Theatre of authenticity » met en évidence l’affluence réelle de ces endroits qui apparaissent faussement déserts sur les réseaux sociaux.

Accumulation de bateaux dans les gorges du Verdon, par Natacha de Mahieu
© Natacha de Mahieu / Instagram
Foule de touristes dans un champ de tournesols, par Natacha de Mahieu
© Natacha de Mahieu / Instagram

Pour conclure

Le périple et l’itinérance sont au coeur de ce blog, loin de moi donc l’idée de dénigrer ce puissant appel de l’ailleurs, cette soif très humaine d’inédit. Néanmoins, je récuse une pratique consumériste du voyage, qui mise tout sur le plus polluant des moyens de transport, dans le seul but d’aller vite et loin. Alors non, je ne me réjouis pas des chiffres claironnés par l’IATA !

Car un autre voyage est non seulement possible, mais aussi, et surtout, désirable. Lisez par exemple le récit de Thomas Wagner, fondateur du média indépendant Bon Pote, parti en train dans l'archipel des Lofoten pour admirer les aurores boréales…



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