La ville à la campagne

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Aurillac, « la ville à la campagne »… Ville ? Oui, petite (moins de 25 000 habitants) et cependant préfecture. Campagne ? Oui, l’été ça sent le foin dans les rues du centre-ville. Le slogan dit donc vrai. Mais à la campagne, comment « faire ville » ?

Le tissu économique local fait preuve d’un dynamisme admirable, grâce auquel le département ne connaît pas le chômage. Au contraire, ses fleurons industriels attirent chaque année de nouveaux techniciens et ingénieurs, venus des « grandes villes ». J’ai d’ailleurs moi-même suivi ce mouvement d’exode urbain, venant de Marseille…

Alors, comment motive-t-on ces jeunes cadres à quitter leur orbite métropolitaine pour s’installer dans le Cantal ? J’ai pu en discuter avec différents chefs d’entreprise, et j’ai trouvé cela fort intéressant !

To be or not to be attractif

Vaches Salers dans la vallée de la Jordanne (Cantal)
Vaches Salers dans la vallée de la Jordanne (Cantal).

Les dirigeants que j’ai rencontrés sont unanimes : pour recruter des « talents », c’est avant tout à l’entreprise elle-même d’être attractive : conditions de travail, de rémunération, de carrière, etc. Ce préalable étant posé, la question du territoire vient ensuite. Aurillac, c’est le point bleu sur la carte de la météo, c’est la préfecture la plus enclavée de France, dans un département qui compte trois fois plus de vaches que d’habitants !

Néanmoins, les jeunes diplômés font d’autres calculs. Une maison neuve avec jardin au prix d’un studio, la fin des bouchons matin et soir, un lieu de vie sûr et apaisé, et pour les enfants, des écoles à taille humaine. L’environnement préservé, les sports de montagne ou les produits fermiers passent au second plan. L’enjeu, en revanche, de l’emploi du conjoint ou de la conjointe, s’avère crucial.

Oui, mais quid de ce fameux enclavement ?

To be or not to be enclavé

Deux objections me sont souvent avancées à la question de l’enclavement.

Premièrement, le Massif central possède, comme son nom l’indique, l’avantage d’être… central ! Certains s’amusent même à qualifier l’Auvergne de « terre du milieu ». Ainsi, un jeune couple m’a fait ce témoignage : « Ici, on est à moins de quatre heures de voiture de Montpellier, Lyon, Poitiers, Bordeaux, Toulouse… Parfait pour aller voir les copains le temps d’un week-end » ! Et deuxièmement, il y a la liaison aérienne Aurillac – Paris : « Pour partir en vacances ou rendre visite à la famille, c’est essentiel ».

Un TER file vers Aurillac (Cantal)
Un TER file vers Aurillac (Cantal).

Pour ma part, je crois que cette notion d’enclavement interroge surtout notre rapport à la distance et au temps. Lenteur et patience sont-elles forcément moins désirables que vitesse et immédiateté ? Vivre à la campagne, n’est-ce pas aussi s’imprégner de la sagesse paysanne, fondée sur le rythme des saisons, sur le temps long, sur la nécessaire attente ? Certes, le pétrole a permis bien des accélérations, bien des raccourcis, mais on en sait désormais les funestes conséquences.

Il ne s’agit pas de vivre coupé du monde et loin de tout, surtout pas ! D’ailleurs, comme bien d’autres populations montagnardes, les Cantaliens ont eux-mêmes beaucoup émigré au cours du XIXe siècle, marchands ambulants en Espagne, bougnats ou cafetiers à Paris.

Nos émigrants d’antan étaient de fameux hommes ;
Ils allaient en Espagne à pied : les plus cossus
S’achetaient un cheval barbe, montaient dessus,
Et partaient. Travailleurs, ardemment économes,

La plupart, au retour, rapportaient quelques sommes,
Quadruples et ducats, dans la veste cousus,
Et qui, par la famille, étaient les bien reçus.
Alors, on n’était pas douillet comme nous sommes :

Après tout un long jour de fatigue, on avait
La selle du cheval pour unique chevet ;
On partageait un lit de paille rêche et rare,

Avec des muletiers, grands racleurs de guitare,
Des arrieros, nourris de fèves et d’oignons,
Et l’on dînait avec ces frustes compagnons.

Arsène Vermenouze (1850-1910), poète cantalien, extrait de « L’Espagne » (éditions Jeux de Mots 15)

Portrait du poète Arsène Vermenouze
Portrait du poète Arsène Vermenouze.

Peut-être, peut-être pourrions-nous trouver inspiration dans cette culture de la lenteur, fût-elle parfois mélancolique.

C'est une maison neuve, adossée à la colline

Quant au modèle de la maison neuve en lotissement, il semble légitimé de fait, puisque plébiscité. Mais pourquoi cette importation du standard périurbain en territoire rural ?

Un soir, lors d’une réunion du conseil municipal d’Aurillac, le maire s’expliquait sur l’apparent paradoxe à puiser dans les réserves foncières de la ville pour construire des logements neufs, quand sont recensés un millier de logements vacants. Hélas, parmi ces logements vacants, seule une partie est mise sur le marché, dont un bon nombre s’avère insalubre, pour un prix souvent surévalué. Et même si c’est une bonne affaire, un logement en centre-ville sera boudé s’il n’est pas possible de se garer devant la porte.

Plus loin, dans la vallée de la Jordanne par exemple, il est pratiquement impossible de trouve quelque chose à vendre ou à louer. Toutes ces difficultés font l’affaire des villages en proximité immédiate d’Aurillac, qui prennent peu à peu des allures de banlieues dortoirs. Et l’on n’abordera pas ici l’épineux sujet de la loi « zéro artificialisation nette » !

Une autre ville est possible... ou pas ?

La Dorinière, immeuble emblématique d'Aurillac (Cantal)
La Dorinière, immeuble emblématique d'Aurillac (Cantal).

Le problème se révèle (très) complexe, mais je n’en retiens ici que ce seul constat : les territoires ruraux ont adopté le modèle de l’étalement urbain.

Et ce, malgré la déprise démographique, ou même, peut-être, dans l’espoir de la juguler. Intuitivement, j’en perçois quelques effets : la centralité grandissante de l’agglomération aurillacoise au détriment des autres petites villes cantaliennes, la construction de nouveaux aménagements corollaires à l’étalement urbain (zone commerciale de la Sablière, contournement de Sansac-de-Marmiesse…).

Le contre-modèle rural est-il encore désirable ? Une autre « ville à la campagne » est-elle souhaitable ? Il me semble que oui, et c’est à nous, habitants, de produire collectivement de nouveaux imaginaires, de nouveaux récits. C’est précisément parce que la ruralité ouvre ce champ des possibles que j’affirme : le monde de demain s’invente à la campagne.



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